Untouracinq chez les Bediks
Vendredi 22 avril : pour nos derniers kilomètres en Gambie, nous nous heurtons à un contrôle de police bien véreux. Enfin même pas un contrôle de police, mais un contrôle de la drug administration. A l’entrée de Basse, 2 hommes nous arrêtent et demandent à fouiller notre véhicule. Déjà à la frontière en entrant nous avions eu une fouille assez poussée de cette administration en charge de la lutte contre les drogues. Il avait fallu que je montre les ordonnances de tous nos médicaments. Aujourd’hui rebelote, mais tout de suite nous sentons le côté vicieux de la fouille : le gars ne se contente pas d’ouvrir nos placards et de regarder, il fouille vraiment, genre il vide l’intégralité de mon sac à main, y compris ma pochette avec mon argent. Il s’attarde sur des trucs qui n'ont aucun sens (je dois par exemple lui expliquer ce qu’est un tampon !), et on sent bien qu’il va chercher à nous coincer quelque part. Évidemment, il jubile lorsqu’il trouve finalement notre boite à pharmacie. Comme à la frontière, je lui montre que je suis bien en règle avec les ordonnances, mais il ne les regarde même pas, il fouille et fouille dans cette boite, mettant certaines boites de côté, ouvrant certains flacons. C’est ridicule et énervant, mais je dois garder mon calme. Pendant ce temps là, le 2ème homme met Louise mal à l’aise en mode « tu es bien jolie, tu restes avec moi ? ». Enfin, après un temps qui m’a semblé interminable, mon gars avance enfin son pion : « mais vous n’avez pas les prescriptions précises pour chaque médicament, le docteur aurait dû mettre une étiquette sur chaque boite précisant comment les utiliser ! ». Je lui montre que j’ai toutes les notices d’utilisation mais il s’en fout. « Vous êtes en infraction ». Ça y est nous y sommes, le jeu peut enfin commencer ! Le tout dans une feinte bonne humeur, de grandes accolades, de grands sourires, de check du poing et de poignées de mains, nous passons les 20 minutes suivantes à discuter : « non je ne suis pas en tort et vous le savez » ; « si vous l’êtes, je dois vous reporter au bureau central en ville » ; « ah mais très bien, allons-y ensemble alors comme ça on règle ça directement avec votre hiérarchie » ; « je vais vous mettre une amende » ; « ok on va ensemble au bureau et si je suis en tort je prendrai l’amende » ; « non mais bon, vous avez l’air sympa, on peut surement trouver une solution » ; « hum… non je ne vois pas, je ne joue pas à ce jeu-là monsieur » ; « allez, tu nous laisses quelque chose et vous pouvez partir » ; « tu n’auras que mon sourire en souvenir »… Je vous fais la version courte là, mais au final on aura perdu environ ¾ heure avec cette histoire. Le plus dur c’est de ne pas perdre patience et de ne pas trop s’énerver devant cette tentative d’intimidation et de corruption. Mais on ne lâche jamais ! Après tout ça, nous sommes bien contents de retrouver Charlie et Olivia pour un nouveau bivouac ensemble au Sénégal. Elles aussi ont eu une journée compliquée et ça fait du bien de décompresser tous ensemble autour de jeux de société 😉.
Le lendemain matin, après une matinée studieuse tous ensemble, nos chemins se séparent à nouveau : elles filent en Casamance, et nous allons dans la région où elles viennent de passer une semaine pendant que nous étions en Gambie. Il fait encore très très chaud, nous roulons un peu et essayons de trouver un bivouac près de la rivière mais sans succès : nous sommes aux abords d’un parc national et visiblement le fleuve fait partie du parc à cet endroit. Nous nous posons finalement près de l’entrée d’un village. Alors qu’en Gambie nous aurions été assaillis de gamins, nous passons ici une soirée et une nuit tranquille.
Le lendemain, nous roulons jusqu’à la ville minière de Mako où nous faisons un arrêt pour déjeuner (un immense plat de mafé pour 2€) et surtout nous rafraichir dans la rivière. Nous allons dans un endroit où plein de locaux se baignent, l’eau est loin d’être claire, il y a pas mal de déchets mais la chaleur est difficile à supporter donc ça fera l’affaire ! Puis nous roulons 40km pour rejoindre Kédougou, la grande ville du coin. La chaleur est torride, on a 47° dans le camping-car ! Pour la première fois depuis que nous sommes au Sénégal, je suis prête à payer pour dormir dans un hôtel/lodge où l’on pourrait profiter d’une piscine. Le premier où nous allons, n’a pas rouvert depuis le covid, le second ne peut pas nous accueillir pour dormir, mais nous pouvons utiliser la piscine moyennant un droit d’entrée. Allez, tous en maillot ! Honnêtement, la piscine nous rafraichit à peine mais ça fait quand même un bien fou ! Comme nous trainons jusqu’à la tombée de la nuit, il est tard pour chercher un bivouac, nous restons dormir juste devant l’hôtel, sur un espèce de terrain vague où des voitures et motos ont fait des vas-et viens toute la nuit.
Lundi 25 avril : aujourd’hui nous avons prévu d’aller à la cascade de Dindefelo, l’une des attractions de la région. Mais avant nous devons faire quelques courses et remplir notre réservoir de gasoil car nous sommes en réserve. Problème : aucune pompe en ville n’a de gasoil, le camion-citerne est en train de livrer chez Total mais il faut attendre, du coup. Et nous ne sommes pas les seuls à attendre ! 1h30 plus tard nous sommes prêts à partir. Mais à peine sortis de la station-service, Renaud freine devant un dos d'âne et un scooter nous rentre dedans. heureusement il n'a rien et nous seulement un morceau de pare-choc en moins (encore un !). Il y a 25km de piste pour arriver au visitor center, puis une petite marche de 30 minutes environ. Au bout de quelques kilomètres de piste, on se rend compte qu’il est déjà tard pour vraiment profiter de la cascade : la piste n’est pas très bonne, avec quelques devers et surtout de grands creux et nous devons donc rouler tout doucement. Changement de plan ! On faut demi-tour et nous rejoignons le village d’Ibel, un peu plus loin, où nous avons RDV avec un Bouba, notre guide pour l’activité du lendemain. J’ai son numéro de téléphone mais je ne capte pas un poil de réseau, la seule autre indication que j’ai c’est que c’est un rasta. Et nous voilà donc à demander au village : « on cherche Bouba le guide rasta ! ». Heureusement, tout le monde semble le connaitre et on arrive près de chez lui. En l’attendant, nous sommes l’attraction du village, notamment auprès des enfants. Nous leur achetons quelques mangues et les enfants sortent jouer au frisbee avec eux. Puis Bouba arrive et nous partons avec lui visiter une carrière de marbre, l’un des plus pur de tout le pays, nous dit-il. Bouba aurait aimé qu’on dorme chez lui, mais le chemin pour parvenir à sa maison ne nous inspire pas, nous préférons rester en plein milieu du village, certes un peu exposés mais cela ne nous dérange pas. Martin sort quelques jouets et devient la coqueluche des garçons de son âge, tandis que Louise est entrainée dans les maisons des jeunes filles. Nous avons quand même besoin de l’aide de quelques adultes, à près de 21h, pour faire rentrer chez eux les derniers curieux 😉.
Le lendemain, nous partons tôt pour marcher avant la grosse chaleur : mettons 1h15 pour arriver au joli village d’Iwol, l’un des 6 villages bediks du Sénégal. Les Bediks sont une ethnie originaire du Mali, qui a fui son pays d’origine lors de guerres tribales et qui a trouvé refuge ici, dans le sud-est du Sénégal. Ils ont fondé quelques villages et compteraient aujourd’hui moins de 3000 membres. Traditionnellement très fermée, l’ethnie commence à peine à s’ouvrir aux autres notamment par le biais de mariages mixtes qui commencent à être tolérés. Comme de nombreuses ethnies en Afrique, les Bediks ont été christianisés mais ont conservé de fortes racines animistes et aujourd’hui encore ils pratiquent de nombreux rituels ancestraux liés à la terre, aux esprits, aux anciens etc. Hier, Bouba nous a fait acheter quelques offrandes pour les villageois : ils sont environ 600 habitants à Iwol, appartenant à 4 familles. Au fur et à mesure de notre visite, Bouba distribue en notre nom des savons, des noix cola (un excitant qui se suce et se recrache) et des sucettes aux enfants. Bon pour le coup les sucettes ça nous énerve car ça entretient le schéma « toubab donne-moi bonbon », mais disons que nous n’avons pas vraiment eu le choix… Nous payons également un droit d’entrée au village de 1000F/adulte, soit 1,50€. Nous commençons la visite par l’école : 2 classes jusqu’à la fin du primaire, ensuite les enfants doivent descendre à pied la colline pour aller au collège qui se trouve à Ibel. L’église, avec son immense toit de chaume est magnifique, mais elle sert très peu souvent visiblement. A l’inverse des villages qu’on a pu traverser précédemment, ici les maisons sont très serrées les unes aux autres. Bouba et le chef du village qui nous accueille nous expliquent qu’ici il existe une forte solidarité, et que chaque famille a un rôle bien précis au service de toute la communauté : il y a la famille qui dirige la vie quotidienne et qui prend les grandes décisions, celle qui s’occupe des champs et des récoltes, et deux familles qui s’occupent du respect des coutumes et qui sont chargées d’organiser les fêtes et événements de la communauté.
D’ailleurs nous avons la chance d’être ici au bon moment : depuis samedi, a commencé la cérémonie d’initiation des jeunes bediks pour célébrer leur passage à l’âge adulte. C’est à la même date dans les 6 villages, mais il est très difficile de savoir en amont et à distance à quelle date c’est. « Entre avril et mai », c’est la seule réponse qu’on avait réussi à avoir ! Nous sommes donc très heureux de pouvoir assister à une partie de cette cérémonie. Pour cela, nous devons patienter car rien ne se passe avant 14h. Entre temps, Bouba nous fait visiter le village, nous présente à la doyenne qui aurait 116 ans, nous montre le baobab géant et ses 23 mètres de circonférence. Puis nous faisons comme tout le monde : nous nous reposons à l’ombre des immenses manguiers ou fromagers, la chaleur nous incitant à piquer une petite sieste après notre pique-nique. Puis vers 14h tout s’active : les hommes se réunissent sur la place du village. Les femmes et les enfants se réfugient dans les maisons : visiblement les jeunes étant en état de transe, il y a souvent des débordements et des bagarres en fin de journée. Cette année ils sont 25 jeunes, entre 13 et 15 ans, à être initiés. Les festivités ont commencé samedi, avec les combats des jeunes contre les masques (= des adultes portant des masques traditionnels), puis les jeunes ont été sortis du village pendant 2 jours et « initiés » par leurs ainés. Aujourd’hui, ils vont faire un rituel symbolisant le passage progressif à l’âge adulte : une danse qui les conduit aux 4 coins du village (= les 4 familles), toujours plus loin à chaque sortie, mais toujours ramenés par le cou par leur protecteur (frère ou cousin déjà initié). On sent qu’ils sont crevés, en mode zombie. L’ambiance n’est peut-être pas aussi festive et marquante que ce qu’on avait vécu chez les Hamers en Ethiopie, mais nous savourons notre chance d’être là dans un événement traditionnel absolument pas pensé ni organisé pour les touristes. D’ailleurs nous ne sommes pas nombreux, nous 5 ainsi qu’une touriste allemande arrivée en début d’après-midi. Je regrette un peu de ne pas avoir mon vrai appareil photo pour faire quelques portraits de loin (il a rendu l’âme en Afrique du sud), ainsi que l’absence de vrai échange avec des locaux. C’est peut-être lié à l’effervescence et à l’activité autour de l’initiation, mais je pense que c’est plutôt lié à la nature même de notre visite. Le fait d’accueillir des touristes régulièrement, accompagnés de guides : certes cela permet de faire connaitre leur culture et d’assurer un petit revenu à la communauté, mais je pense qu’ils perdent aussi le plaisir du partage à la longue. J’imagine que si des gens venaient régulièrement visiter mon quartier, au début j’aurais plaisir à leur parler mais au bout d’un moment je les regarderais avec indifférence écouter les explications de leur guide. C’est un peu dommage car ça déshumanise la rencontre, je trouve, mais comment faire autrement quand les 6 villages fonctionnent de la même façon ? Ce n’est pas comme les Himbas, en Namibie, où il est possible de tomber sur des villages par hasard et d’avoir un vrai contact (même si limité à cause de la barrière de la langue). Bref, toujours le même sujet du tourisme « ethnique » avec ses bons et ses mauvais côtés !
Nous quittons le village vers 17h pour les laisser entre eux d’une part, et d’autre part parce que c’est le moment où ça risque de dégénérer en bagarre. Nos enfants font la descente en courant, suivis par un Bouba un peu inquiet qu’ils ne se perdent. Renaud reste avec moi à l’arrière : mon épaule me fait pas mal souffrir dans la descente et je vais à un rythme d’escargot ! Arrivés au village, nous sommes accueillis comme des rois par les gamins d’Ibel, on dirait qu’ils nous ont attendu toute la journée ! La fin de journée se passe comme la veille, entre discussions avec Bouba et jeux avec les enfants.
Le lendemain, nous nous arrêtons au puit du village pour remplir nos réservoirs. Une trentaine de femmes sont là en train de remplir leurs bidons ou de faire leur lessive, la plupart avec des gamins dans le dos. Nous organisons des tours de rôle pour leur faire visiter le camping-car ! Puis nous retournons sur Kédougou, pour trouver un véhicule pour nous conduire à la cascade. Après mûre réflexion, on n’a pas envie d’y aller avec pépère. On négocie un taxi pour 20.000FCFA (30€) qui nous attendra sur place. On laisse pépère au croisement là où commence la piste, et c’est parti pour 1h de bosses et de creux à vive allure ! Au visitor center, on nous oblige à prendre un guide (5000FCFA=7,5€) pour aller jusqu’à la cascade (2000FCFA=3€/adulte), soi-disant parce que c’est un espace protégé, mais que dire alors des dizaines de personnes qui lavent leur moto et leur linge dans le ruisseau ?? Bref… Etant donné que nous sommes à la fin de la saison sèche, la cascade en elle-même n’est pas exceptionnelle, un filet d’eau qui tombe le long d’une petite falaise en forme d’amphithéâtre. Mais elle a le mérite, encore une fois, de nous rafraichir, pour de vrai cette fois car l’eau est effectivement bien fraîche et nous profitons joyeusement du petit bassin en bas de la cascade. L’expérience est un peu gâchée par Doudou, notre chauffeur à qui nous avons payé l’entrée de la cascade car il n’y était jamais venu. Visiblement on s’est mal compris sur les horaires, il nous réclame davantage d’argent disant qu’on le prend en otage. Hey ho calme toi l’ami, je croyais qu’il n’y avait jamais de stress au Sénégal ! Bref de toute façon on allait commencer à se mettre en route, on refait les 30mn à pied en sens inverse et on dépose au centre des visiteurs notre guide qui a été totalement inutile (à savoir quand même qu’il y a plusieurs randos et balades possibles dans la réserve, nous on n’a fait que la cascade mais peut-être le guide est-il plus intéressant sur les autres parcours ?). Quant au trajet en voiture, Doudou nous montre clairement qu’il n’est pas content : certes il gagne une dizaine de minutes, mais vu les chocs qu’on a pris je crois que sa voiture a perdu 10 années de vie ! Et au final Renaud doit même l’aider avec ses outils car la roue avant gauche est en train de se faire la malle. On a à peine le temps d’aérer pépère qui a bien sué en plein soleil et fermé toute la journée, qu’on doit tout refermer pour reprendre la route et chercher un bivouac dans les environs. Ah ben non finalement, la batterie est à plat ! Heureusement on n’est pas loin de la grande route, Renaud se poste et attend une voiture. 5mn… 10, 15… 30 minutes sans aucune voiture ! des motos, des tricycles, mais pas de voiture. Et il est maintenant 19h20, l’heure de la rupture du jeun donc plus personne ne devrait rouler pendant un moment et ensuite il fera nuit noire. Soit, on va dormir sur place et on verra demain !
Le lendemain, Renaud trouve cette fois assez rapidement une voiture pour démarrer avec les câbles, et nous repartons sereinement. Sur les conseils de Bouba, nous nous arrêtons à l’hôpital régional de Kedougou. Mon épaule, blessée suite à une chute de cheval au Lesotho, me fait de plus en plus souffrir, notamment la nuit et je ne peux quasiment plus la bouger. En toute franchise, nous sommes épatés de découvrir un hôpital de catégorie 1 flambant neuf ! Malheureusement il est quasiment vide car il a été construit à l’écart de la ville et les gens ne veulent pas payer de transport pour s’y rendre. Je consulte d’abord un généraliste qui m’envoie faire une radio, et le radiologue m’oriente ensuite vers un orthopédiste (tout ça dans l’enceinte de l’hôpital). Il hésite un peu pour le diagnostic (il faudrait faire une IRM pour confirmer et il n’y en a pas ici), mais penche pour une capsulite rétractile, un truc qui « fige » progressivement mon épaule. Il me prescrit des anti-douleurs, des anti-inflammatoires et des séances de kiné… Bon le kiné ça attendra la France je pense, déjà si j’arrive à mieux dormir la nuit ça sera pas mal ! Après un arrêt déjeuner dans un fast-food à Kédougou, nous quittons la ville par la même route que nous avions prise à l’aller. Nous avions repéré vers la ville de Mako un hôtel avec une piscine (assez rare dans la région !). En passant à nouveau devant nous décidons d’aller voir ce que ça donne. L’endroit est sympa, au bord du fleuve Gambie avec de jolies paillotes. Allez hop, ce n’était pas prévu car on voulait tracer sur la Casamance, mais on va faire une pause ici. 2 nuits, même, tellement nous y sommes bien ! Nous passons nos journées dans la piscine et 2 soirées sympathiques avec Camille et Nina, deux jeunes étudiantes qui ont décidé de faire une césure après leur licence et passent une année au Sénégal. Au passage, le 29 avril nous fêtons les 20 ans de notre camping-car ! Notre fidèle monture avec laquelle nous avons fait 65 000km en Asie et maintenant 70 000km en Afrique… pas mal pour ce gros pépère, non ?