Quand tu prends une piste que tout le monde te déconseille...
Après la magnifique expérience dans le parc de Hwange, nous décidons d’aller faire un tour du côté du lac Kariba, dans la petite ville de Binga. Le lac Kariba vous dit peut-être quelque chose, nous étions au bord de ce lac, mais côté zambien, en février dernier ! Mais avant d’y arriver, nous nous faisons une petite frayeur ! Le bruit que nous avions entendu avant les chutes Victoria et que nous pensions dû à l’amortisseur cassé revient de plus belle : une espèce de vibration grave mais bien sonore, comme 2 morceaux de métal qui s’entrechoqueraient rapidement. Renaud s’arrête aussitôt et repasse sous le châssis, cette fois de façon plus minutieuse : il trouve alors l’origine du problème, un support qui a l’air de soutenir la boite de vitesse est en train de se casser ! Il ne tient plus que d’un côté, et même ce côté-là est en train de se casser. Le bruit qu’on entend est probablement quand le morceau de métal touche l’arbre de transmission. Bref, on ne se rend pas vraiment compte si c’est un peu grave ou très grave, mais je peux vous dire qu’on y va tout doux lorsqu’on redémarre ! Arrivés à un village, nous tentons notre chance et demandons s’il y a un soudeur et par chance il y en a un. En deux heures, sous les yeux de la moitié du village, le support est démonté, ressoudé puis remonté. Maintenant il n’y a plus qu’à surveiller si ça tient sur la durée ! Nous demandons si nous pouvons rester dormir dans le village mais le soudeur nous conseille de nous éloigner un peu car les hommes viennent boire et faire la fête jusqu’à tard dans la nuit. Soit, nous trouvons un coin un peu plus loin et passons une nuit calme.
Le lendemain, nous prenons notre temps et une fois arrivés à Binga, nous peinons un peu à trouver un bivouac avec une jolie vue sur le lac. Le premier soir, d’ailleurs, nous sommes tout près de l’eau, mais les herbes sont si hautes qu’on n’y voit rien du tout ! Une poignée de gamins nous rejoint et passe la fin d‘après-midi avec nous. Nous sortons le tapis, les feuilles noires à gratter et ils passent un long moment à dessiner. Ensuite, nous leur expliquons les règles du Uno et plusieurs parties s’enchainent jusqu’à ce que le soleil se couche (17h30), signal pour eux qu’il est temps de rentrer chez eux. « see you tomorrow ! » nous disent-ils avec un grand sourire !
Et effectivement le lendemain matin, alors que nous terminons notre petit-déjeuner, ils reviennent pour passer encore un moment avec nos enfants. Eliott leur explique comment jouer au Dobble, mais ça ne les emballe pas et ils réclament des feuilles noires à gratter. Allez hop, c’est parti pour une nouvelle session de dessins ! C’est drôle de les voir s’appliquer comme ça, et repartir fièrement avec leurs « œuvres » 😉 Enfin de matinée, nous les quittons pour essayer de trouver un nouveau bivouac avec une plus jolie vue. Mais auparavant, sur les conseils d’un homme croisé la veille, nous nous rendons aux bureaux d’une ferme d’élevage de crocodiles. La peau est exportée à Singapour, la « bonne chair » est vendue dans les restaurants et supermarchés et la queue, la partie visiblement moins noble de l’animal, est vendue ici aux locaux. Nous achetons un énorme morceau de 4kg (pour 4$ !), pensant qu’il y aurait plein de cartilage à « désosser », mais finalement il n’y a pas beaucoup de déchet et on se retrouve avec de la viande de croco à n’en plus finir ! Impossible de la recongeler, on commence donc à la cuisiner dès le soir même. Et entre temps, nous avons trouvé un chouette bivouac. Bon ok on n’a pas une super vue sur le lac à cause de quelques arbres qui obscurcissent l’horizon, mais il suffit de marcher une vingtaine de mètres pour avoir une chouette vue. Et il y a un accès au lac en contrebas, que Martin s’empresse d’utiliser pour rejoindre 2 pêcheurs et s’essayer aux techniques locales. Les les pêcheurs nous mettent en garde de ne pas trop nous approcher de l’eau quand même, il y a des crocodiles dans le lac ! Martin est donc très prudent lorsqu’il lance sa ligne ou bien quand il envoie le bidon troué servant de piège pour attraper les plus petits poissons. Au bout de 2 bonnes heures, il revient bredouille mais enchanté d’avoir tenté de pêcher dans le lac Kariba.
Jeudi 15 juillet, jusqu’à la dernière minute nous hésitons sur la route à prendre pour rejoindre notre prochaine étape, la ville de Kariba au nord-ouest du pays. Il y a 2 possibilités : reprendre la route principale du pays, repasser par Bulaweyo puis Harare et remonter jusqu’à Kariba (= 1100km de bon asphalte). Ou bien prendre une piste parallèle au lac, environ 520km dont 280 sur piste. Nous nous renseignons depuis notre arrivée dans le pays sur cette route, et la plupart des gens nous la déconseillent. Quand nous demandons des précisions, comme d’habitude c’est difficile de savoir où est la difficulté, mais nous comprenons qu’il y a beaucoup de tôle ondulée et des passages érodés avec dévers et rochers. Enfin ça dépend à qui on demande… pour vous donner une idée :
- Un expat sur Harare : « sûrement pas avec votre véhicule ! »
- 2 zimbabwéens rencontrés à Hwange : « arhg elle est terrible, vraiment terrible mais en y allant doucement ça devrait aller… »
- Un ranger à Hwange : « je dirais qu’il y a 80 à 100km vraiment en mauvais état, le reste ça va »
- Le pêcheur à Binga : « je crois qu’une partie a été asphaltée récemment »
- La police à Binga : « elle est bonne, elle vient d’être améliorée il y a 2 semaines »
Comment voulez-vous qu’on prenne une décision avec tout ça ? Bon à force vous devez nous connaitre, on déteste passer par les mêmes routes et nous ne sommes pas venus en Afrique pour rester sur les routes principales. Après mure réflexion, nous nous engageons donc sur la fameuse route « Binga/Karoi » en serrant un peu les fesses quand même 😉. La première partie se passe bien, très bien même : à part la poussière soulevée qui envahit rapidement l’habitacle, la police avait raison, la piste semble avoir été raclée récemment. Elle ne vaut pas les larges et belles pistes namibiennes, mais avec une vitesse moyenne de 30km/h on n’est pas mal. Pour dormir, nous ne cherchons pas un bivouac isolé mais au contraire allons à la rencontre d’une famille pour leur demander si nous pouvons nous poser dans leur enclos. Lilian nous donne immédiatement son accord ! Malheureusement pour nous, ni elle ni ses deux jeunes sœurs avec lesquelles elle habite ici ne parlent anglais. Son mari est parti pour quelques jours, et les jeunes filles sont très timides avec nous et gardent leurs distances. Les enfants ont bien du mal à motiver la gamine de leur âge pour jouer au frisbee avec eux. Quelques minutes plus tard, leur « oncle » rapplique, plus imbibé d’alcool qu’un baba au rhum. Et autant les filles sont réservées, autant lui ne nous lâche pas la grappe, avec la difficulté que nous ne comprenons pas un mot de ce qu’il baragouine. On reconnait quelques mots auxquels nous nous raccrochons poliment pour tenter de répondre à ce qui ressemble à des questions, mais ça nous lasse rapidement. D’autant qu’il ne nous laisse pas un instant, dès que je tente de me rapprocher de Lilian et de ses adorables jumeaux de 9 mois, il me relance en mode « hey sister blablablablablabla ». On comprend entre les lignes qu’il aimerait bien qu’on lui donne de l’argent… Je sens rapidement que la présence du bonhomme ennuie les jeunes filles (visiblement il s’incruste pour diner, profitant ainsi des morceaux de crocodile que nous leur avons offert) et nous décidons d’abréger les échanges en rentrant chez nous, ce qui j’espère fera rentrer tonton chez lui aussi.
Le lendemain matin, nous quittons Lilian sur de grands sourires. A défaut d’avoir pu échanger avec elle, nous la remercions sincèrement de son accueil ! La piste devient plus sinueuse et grimpe parfois de sacrées côtes. On en profite pour faire une pause avec un joli panorama sur toute la vallée. Mais qui dit pente, lorsqu’on n’est pas sur un revêtement « en dur », dit érosion, ornières et dévers. Il y a aussi un passage assez sablonneux sur une quinzaine de kilomètres : peu de risque que nous restions ensablés, mais la conduite n’est pas facile car nous devons essayer d’éviter l’ornière causée par le passage des roues et qui est trop haute pour notre châssis : quand on met nos roues dans les traces des véhicules qui nous ont précédé, on racle le sol. Alors Renaud monte un peu sur les ornières mais alors le cul de pépère a tendance à partir de tous les côtés. Bref, une conduite épique mais qui ne pose pas beaucoup de problème. Les passages caillouteux et en devers sont plus techniques, nous les prenons en 1ère et Renaud, malgré son extrême concentration, se marre de me voir essayer de m’alléger en prenant appui sur mes accoudoirs… on ne sait jamais, si ça pouvait faciliter le passage sur les rochers ! Nous ne faisons que 100km en 4h mais ne roulons pas plus longtemps car c’est vraiment fatiguant dans ces conditions, et puis si on voulait aller vite on aurait pris l’autoroute, non ? Nous retentons notre chance chez l’habitant ce soir, cette fois c’est Paul et sa famille qui nous accueille. Il ne parle que quelques mots d’anglais donc les échanges sont limités, mais il semble ravi de nous accueillir chez lui. Il a 5 enfants, des vaches, des chèvres et des poules mais il ne semble pas y avoir de maman, ce sont les filles de 11 et 9 ans qui s’occupent du repas. Comme la veille, nous avons le plaisir de voir rappliquer le voisin bourré. Cette fois il s’agit de Malcom, un jeune de 16 ans. Il est 17h30 et il est complètement bourré. Lui non plus ne nous lâche pas, en mode « me happy » et « everything is ok » et « i love you brother ». Comme hier, ça me lasse rapidement et je rapatrie tout le monde à la maison une fois la nuit tombée pour que Malcom rentre chez lui. La maison de Paul est adorable avec ses différentes huttes parfaitement rondes. Le lendemain matin, nous échangeons quelques mots (simples), et nous prenons des photos que nous lui imprimons avec plaisir.
Il est ensuite temps de reprendre la route : plus que 90km de piste et on devrait retrouver le goudron ! Cette dernière portion est très hétéroclite : nous avons un peu de tôle ondulée qui fait vibrer notre maison sur roue, quelques passages caillouteux, parfois des graviers profonds, mais pépère s’en tire à nouveau comme un chef. Au final, nous avons mis 11h pour faire les 280km de piste, en 3 jours. Pas si mal, non ? Mais je pense que nous avons eu de la chance car nous avons pu constater à de nombreux endroits qu’effectivement la route avait récemment été raclée et des trous comblés, facilitant notre progression. Aucun regret en tout cas de notre côté, nous nous sommes régalés de voir tous ces minuscules villages, ces maisons ravissantes, ces femmes qui vont chercher l’eau au puit, ces charrettes chargées de foin, ces gamins qui courent vers nous, ces pouces levés, ces mains qui s’agitent pour nous souhaiter la bienvenue. Finalement, nous avons bien fait de prendre cette route que tout le monde nous déconseillait 😉
Nous décidons de nous arrêter pour la nuit avant de rejoindre la grande route ralliant Harare, la capitale du Zimbabwe, à la Lusaka, en Zambie. Nous nous installons devant chez Helen et sa famille, qui élève des cochons. Elle nous fait visiter sa petite ferme, nous offre une assiette de cacahuètes grillées ainsi que des oignons frais, et est ravie de visiter notre maison. Comme à chaque fois, elle est très étonnée de découvrir notre mode de vie et l’équipement dont nous bénéficions : panneaux solaires, robinets, douche, frigo etc.
Ce matin, nous nous réveillons au chant du coq, bien emmitouflés dans nos couettes car nous sommes à 1300m d’altitude et il ne fait pas chaud. Helen nous propose de visiter son jardin, ce que nous acceptons évidemment avec plaisir ! Il est situé à 1km de la maison, nous y retrouvons son mari, Newman qui a dormi sur place pour éloigner le bétail qui la nuit mange les cultures. Ici, près d’un réservoir d’eau, ils cultivent des tomates, du maïs, du tabac et des oignons qu’ils vendent ensuite dans les villages environnants. Helen arrache quelques tiges d’une plante ressemblant à de la menthe et me les donne en me conseillant de faire un thé avec, pour soigner le covid. Elle m’affirme que c’est l’hôpital qui lui a dit de se soigner comme ça, quand elle a eu de la fièvre il y a plusieurs semaines…. La matinée est largement entamée lorsque nous quittons nos hôtes charmants. Quel bonheur de refaire des rencontres et de partager de courts instants de vie hors des circuits touristiques ! Pour l’heure, il est temps de rejoindre « l’autoroute » qui nous conduira dans le nord-ouest du pays. Et quand on voit le nombre de camions qui y circulent, les nids de poule et les bas-côtés défoncés, nous sommes encore plus contents d’avoir pris la piste de Binga à Karoi 😉
Bonne fin de week-end les amis et bel été à vous tous !