Immersion chez les hamers
La descente vers la vallée de l’Omo, région habitée par plusieurs ethnies, ne commence pas très bien. Alors qu’on trouvait que les gamins s’étaient un peu calmés depuis Shashamane, là on revient dans une région touristique et nous voici donc à nouveau confrontés à leur agressivité devant notre refus de leur donner quoi que ce soit. D’abord, c’est un piment lancé par la fenêtre que Renaud reçoit sur le menton ; puis une pierre lancée contre nos roues. Plus loin, Renaud pile brusquement et sort du camping-car en courant. Je n’ai rien vu, je ne sais pas ce qu’il se passe jusqu’à ce que j’entende Martin pousser un cri. En pleurs, il m’explique qu’alors qu’il regardait par la fenêtre latérale, une gamine lui a donné un coup de bâton en plein dans l’œil. Les vaisseaux de son œil sont effectivement tout rouges, il a du mal à garder son œil ouvert. Je m’occupe de le lui rincer et d’essayer de le consoler. A part la douleur du coup, ça n’a pas l’air d’être grave (pas de lésion). Pendant ce temps-là, Renaud a coursé la gamine (avec ses vielles sandales, comme à chaque fois qu’il court après un gosse !) mais elle s’est faufilée dans les buissons dès qu’elle l’a vu freiner. Et là j’avoue, j’admire la ténacité de mon mari. Moi j’étais prête à lâcher l’affaire et à repartir, mais pas lui ! Il reste à côté du camping-car, observant la gamine de loin. 1 personne arrive, puis 2, puis 5… il explique invariablement en montrant la gosse au loin ; personne ne parle anglais ; tout le monde regarde la petite avec sa robe bien rouge ; rien ne se passe pendant un moment. Par la fenêtre, je lance le mot « police »… Renaud explique à nouveau, Martin exhibe son œil meurtri et ça commence à bouger. L’un des gars en moto qui s’est arrêté nous propose de nous conduire au village, où il y a un policier ; ils connaissent les parents de la fille et vont les « convoquer ». Nous voilà donc garés au milieu d’un petit village, nous sommes évidemment l’attraction (les enfants comptent 53 personnes devant le camping-car !). Renaud parlemente un moment avec le policier qui (oh miracle !) parle un peu anglais, puis avec le père de la fillette. En gros, le message qu’il lui fait passer c’est « c’est pas cool de faire ça, qu’elle ne recommence plus ! ». Je ne sais pas si ce sera utile, mais au moins il ne se sera pas laissé faire !
Après toutes ces émotions, nous arrivons en fin d’après-midi le 1er janvier à Key Afar, où doit se tenir le marché hebdomadaire attirant les ethnies environnantes. Nous avons beaucoup hésité à venir dans cette région, et aussi sur ce que nous voulions y faire. Le coin est connu pour ses villages abritant différentes ethnies et visitables moyennant finance. Et toujours moyennant finance, il est possible de photographier les gens qui ne vivent quasiment plus que de ça. Le tourisme ethnique, ce n’est pas vraiment notre truc. Il y a une quinzaine d’années, nous avons fait ce type d’excursion pour visiter un village habité par des Padongs, ces « femmes girafes » qui portent des anneaux empilés sur le cou (et qui accessoirement sont des réfugiées birmanes bien exploitées par l’industrie touristique thaïlandaise). Plus que le plaisir de voir de mes propres yeux cette culture si atypique, je garde encore aujourd’hui le souvenir de mon malaise pendant toute la visite du village. Complètement bloquée, je n’ai réussi à prendre une photo (une seule !) que lorsque j’ai acheté une étole à la dame en question, en lui demandant son accord ce qu’avait vraisemblablement oublié ce touriste américain qui la bombardait avec son gros zoom à moins d’1 mètres. Bref, pas question de revivre ça ni d’encourager cette pratique. Nous nous contenterons donc de flâner dans les marchés de quelques villages où « descendent » des membres des communautés environnantes pour vendre et acheter leurs marchandises.
A l’hôtel où nous sommes garés, à Key Afar, un guide vient aussitôt à notre rencontre, nous expliquant que la visite du marché est payante et qu’un guide est obligatoire. Nous l’écoutons poliment et lui répondons que nous n’aurons pas besoin de ses services et que nous ne payons pas pour aller faire nos courses au marché. Il est visiblement en colère, nous dit que ce ne sera pas possible, que la police nous arrêtera et nous fera payer le double. Soit, cela ne nous empêche pas de dormir ! Le lendemain, nous nous rendons à pied au marché, qui commence à s’animer tard vers 11h, le temps que les gens arrivent à pied des villages environnants. Ici ce sont surtout des Bannas. Certains hommes portent des jupes très courtes, des bracelets aux bras, les femmes portent des colliers de perles. Nous allons d’abord au marché au bestiaux, et sans prendre de photo allons nous installer dans un coin pour observer la scène. D’un côté les chèvres qui se vendent 50 birrs le kilo, au fond les vaches et les zébus, et au centre quelques maigres moutons. Un homme nous interpelle et nous propose de nous rapprocher de lui. Il n’a pas besoin de nous le dire 2 fois ! Malheureusement il ne parle pas anglais, mais on comprend qu’il est en pleine séance de négociation pour acheter le plus beau zébu du marché, qu’il obtiendra pour 16 500 birrs. Plusieurs hommes le rejoignent et nous sommes au milieu d’une dizaine de personnes, à tenter d’échanger quelques mots, quand le guide de la veille revient à la charge, remonté comme une pendule. Très agressif, il me prend mon sac, nous demande de partir, nous menace d’appeler la police... Nous restons calmes et lui tenons le même discours qu’hier. Notre « allié » s’immisce alors dans la conversation, et le guide s’en va, rouge de colère. Notre pote nous dit alors simplement « no guide, no problem », avec un grand sourire 😉 Nous allons ensuite faire quelques emplettes au marché « alimentaire ». Les prix ont tendance à être allègrement multipliés par 2 ou 3, mais au bout de 6 semaines d’Ethiopie, on ne nous la fait pas ! 😉
Nous filons ensuite à Jinka, point de départ des excursions pour aller visiter les villages Mursis, cette ethnie qui ne compte plus que 7000 personnes, et connue pour ses femmes portant des disques labiaux et ses hommes des peintures et coiffures extravagantes. Si nous avions pu y aller avec notre véhicule, nous aurions peut-être cédé à la curiosité. Mais la piste pour s’enfoncer dans la forêt est impraticable pour nous, et nous refusons de nous joindre à un tour pour y aller. Nous trainons en ville et à l’hôtel, en profitant pour faire un peu d’école et rattraper le retard sur le blog.
Notre prochaine étape est Dimeka, plus au sud. Dimeka est la « capitale » de l’ethnie des Hamers, qui se distinguent des autres par le port de vêtements en peau de bête et surtout une coiffure très caractéristique à base de graisse et de terre rouge. Nous en croisons tout au long de la piste et sommes assez impressionnés ! Nous galérons un peu à trouver un endroit où nous poser à Dimeka qui n’est qu’une petite ville. Nous finissons par nous garer dans l’unique hôtel après un marchandage serré, et nous ne serons pas tranquilles un instant : faisant également office de bar et restaurant, l’hôtel ne ferme pas son portail, c’est comme si nous étions garés dans la rue avec un défilé de gosses (et de moins gosses d‘ailleurs) mendiants devant nos fenêtres. A ce stade, je commence vraiment à en avoir marre, je m’enferme une bonne partie du temps dans le camping-car, volets remontés pour ne pas être observée de l’extérieur. Je crois qu’il est temps que je quitte ce pays, au risque de devenir complètement asociale !!
Là encore, un guide nous tombe dessus pour nous expliquer le marché payant, le guide obligatoire, blablabla. Nous refusons, il insiste, nous parle de police etc. mais nous ne le reverrons plus… ouf ! Le marché est moins grand que Key Afar, mais plus haut en couleur ! Nous passons un sympathique moment. Nous décidons néanmoins de ne pas descendre plus bas vers le marché de Turmi qui se tient 2 jours plus tard. On a tous bien profité de l’Ethiopie, mais la lassitude se fait maintenant bien sentir face au comportement des gens et nous aspirons à autre chose.
Mais il y a encore quelques centaines de kilomètres qui nous séparent de la frontière avec le Kenya. Samedi 4 janvier, après le marché, nous quittons donc Dimeka et reprenons la route qui remonte à Key Afar. A peine avons-nous roulé une dizaine de kilomètres que nous tombons sur une cérémonie qui se tient près d’une hutte à 50 mètres de la route. C’est une cérémonie de « bull jumping », rite de passage à l’âge adulte des jeunes hommes Hamers !! Nous nous garons et allons demander si nous pouvons rester, lorsque le guide rencontré à Dimeka s’avance vers nous d’un pas décidé. Il refuse que nous entrions si nous ne payons pas un droit d’entrée + une commission + un guide. Allez, ç’est reparti !! Les enfants, sentant que ça va être long, nous lâchent et s’avancent tranquillement vers le groupe de danseurs « toute façon pour nous ça sera gratuit alors on peut bien y aller ! » nous lance une Louise très confiante 😉 ça a le mérite de faire rire les 2 « chefs de village » à qui nous parlons… un peu moins le guide ! Bref, je vous la fais courte, mais ça a duré un moment : renfort de 3 autres guides, intimidation, insultes, menaces de police (mais qu’ils les appellent et qu’on en finisse de cette mascarade !!). Finalement nous parvenons à nos fins, nous ne payons que les droits d’entrée directement au chef du village et nous nous débarrassons une fois pour toute de cette mafia touristique. Ouf, on peut profiter du spectacle hallucinant qui se déroule devant nous ! Car c’est assez incroyable : les femmes proches du jeune pour qui la fête est organisée dansent et chantent sans discontinuer, avec de gros grelots aux mollets, pendant que les hommes discutent à l’ombre. L’alcool coule à flot (de l’hydromel, une espère de bière locale et un tord-boyau indéfinissable) et la plupart seront bien entamés avant la fin de l’après-midi. Nous faisons la connaissance du médecin de la région, qui parle bien anglais et nous prend sous son aile, nous faisant poser avec ses amis et nous expliquant les grands moments de la cérémonie. Ben voilà, on n’avait pas besoin de guide 😉 Tout s’accélère en fin d’après-midi avec une séance de flagellation : les femmes se battent littéralement pour se faire fouetter par les hommes de la tribu. Elles arborent fièrement leurs précédentes cicatrices en relevant leur t-shirt. Pour elles, les marques laissées dans leurs chairs sont un signe de courage, d’honneur et de respect pour le jeune homme qui s’apprête à devenir un homme. Alors que le soleil se couche, une dizaine de taureaux sont alors amenés et tenus serrés les uns à côté des autres. Le jeune, nu comme un ver, doit grimper sur l’échine du premier taureau et courir sur les autres sans tomber ni trébucher. Il doit faire 4 passages pour réussir. « Notre » jeune réussi sans problème l’épreuve, toujours sous les chants et la ferveur des participants. Il a à peine une quinzaine d’années, mais bientôt il pourra avoir son propre bétail et choisir une épouse.
Il fait nuit noire maintenant, et nous sommes toujours garés au bord de la route. Avec les taureaux sont aussi arrivés plusieurs hommes portant des kalachnikovs en bandoulière. Beaucoup de personnes sont ivres, mais les festivités vont se poursuivre une bonne partie de la nuit. Pas pour nous ! Nous préférons nous éclipser discrètement pour aller trouver un coin tranquille pour dormir une dizaine de kilomètres plus loin. Que d’émotions aujourd’hui ! J’ai peu de doutes sur le fait que le spectacle soit en partie orchestré pour les touristes (cependant avec nous il n’y avait qu’un autre couple de néerlandais). Je soupçonne que les Hamers vivant proches de Dimeka ont passé un deal avec les guides du style : vous organisez un bull jumping 1 à 2 fois par semaine dans un rayon de 10km et on vous amène des touristes qui paient pour assister à la cérémonie. Je n’ai en revanche aucun doute sur le fait que les Hamers présents étaient à 100% concentrés sur leur cérémonie et n’en avaient rien à faire de nous, rendant de fait le spectacle authentique ! A part 2 ou 3 gosses un peu insistants, personne ne nous a rien demandé, tous nous ont souhaité la bienvenue, nous serrant la main, nous offrant à boire, nous laissant prendre des photos et parfois même s’incrustant sur les nôtres 😉 Nous avons donc passé un excellent après-midi !
Ce matin, au réveil, 8 personnes nous entourent. Un morceau de notre sticker « playmobil » a été arraché, on ne sait pas si c’est ce matin ou hier mais ça nous agace. On lève le camp dès 8h20. Après la piste puis une route moyenne, lorsque nous tournons pour prendre la direction de Yabelo, la route est un vrai billard, elle a été asphaltée récemment et Renaud prend un vrai plaisir à conduire… on ne l’arrête plus ! Nous réalisons dans la journée que le Noël éthiopien arrive à grands pas, et que la douane que nous pensions passer le 7 janvier risque d’être fermée pour cause de jour férié. On doit passer le 6 ou le 8. Le conseil de famille est expédié en moins de 10 secondes : à l’unanimité, allez papa, mets les gaz, on quitte l’Ethiopie demain !