Untouracinq au temps des pharaons
Vendredi 4 octobre, nous quittons Sharm El Sheikh, à la pointe sud de la péninsule du Sinaï. 450 kilomètres et 10 checkpoints militaires plus loin, nous passons sous le Canal de Suez. A chaque fois que je pense à ce gigantesque canal (200km de long, 300m de large et 22m de profondeur) construit sous la direction de Ferdinand de Lesseps pour relier la mer Méditerranée et la mer Rouge, j’ai cette phrase qui me vient à l’esprit : « la nationalisation du canal de Suez par Nasser en 1956 marque un nouvel équilibre entre les forces de la guerre froide ». A chaque fois ça me fait le coup. Certainement le titre d’un chapitre que j’ai dû réviser intensément pour le bac !
Avant d’arriver au canal, la route est assez monotone, le littoral très peu aménagé si ce n’est par l’industrie pétrolière, on distingue plusieurs plateformes proches de la côte. Les militaires sont omniprésents, nous suivant parfois sur une dizaine de kilomètres entre 2 checkpoints. A chaque barrage c’est le même rituel : d’abord des visages fermés, des questions sèches : « d’où venez-vous ? où allez-vous ? combien de personnes dans le véhicule ? » Puis contrôle des passeports et de la licence égyptienne nous autorisant à circuler, et appel au prochain poste pour les prévenir de notre arrivée. On suppose que c’est pour réagir vite en cas d’enlèvement ? Ensuite, ils nous laissent passer avec de grands sourires et des « welcome to Egypt ! » C’est tellement bien organisé que nous ne sentons pas en danger, mais nous roulons bien pour ne pas avoir à dormir sur cette portion de route.
Il est presque 17h quand nous passons sous le canal, nous sommes officiellement sur le continent africain ! Le soleil se couchant très tôt ici, vers 17h30, nous roulons encore un peu pour nous approcher au maximum du Caire mais nous arrêtons pour ne pas rouler de nuit. Nous nous installons dans un quartier résidentiel au milieu de bâtiments, les enfants vont jouer au ballon avec les gamins du quartier qui viennent pratiquer leur anglais avec nous dans un joyeux brouhaha. A 3h30, des coups reconnaissables sur la carrosserie, 2 voitures gyrophares allumés sont devant notre nez. Renaud s’habille à la hâte et doit partir avec eux pour parler « au colonel », il reviendra 40mn plus tard en ayant réussi à négocier de rester là mais en laissant son passeport pour la nuit. A 4h15, joli chant du muezzin au-dessus de nos têtes et dès 6h30, le quartier se réveil bruyamment… les joies des bivouacs en ville 😉
Le matin, re-visite de la police que nous envoyer gentiment bouler en leur disant que leurs collègues ont déjà nos passeports. Puis nous récupérons nos papiers et partons en direction du caire… mais sommes arrêtés quelques kilomètres plus loin par des militaires ! Heu va falloir arrêter là les mecs, ce n’est plus très drôle ! La fatigue aidant, je suis de moins en moins aimable et vais faire un tour pour me calmer (et retirer de l’argent). Renaud refuse de se mettre sur le côté comme ils nous le demandent, on est au milieu de la route et on attend leur bon vouloir. Ils téléphonent à droite et à gauche, nous disent « sorry one minute », font des copies de nos passeports et finissent par nous laisser passer 30mn plus tard. Comme quasiment aucun ne parle anglais, il est difficile pour nous de comprendre ce qui les inquiète. Ils nous disent que nous sommes dans une zone militaire (en pleine banlieue du Caire ??). Bref, on se calme et on repart !
En milieu de matinée, nous arrivons en plein centre-ville du Caire et découvrons la bouillonnante capitale, sa circulation anarchique, ses klaxonnes, sa pollution et… son absence de parkings ! Celui que nous avions repérés sur la carte nous refuse, nous nous retrouvons place Tahrir au milieu de centaines de voitures dans tous les sens. Accessoirement, cette place est la principale du Caire, celle où les gens se réunissent pour protester ou manifester. Aujourd’hui elle est calme, mais les véhicules blindés qui l’entourent nous incitent à ne pas nous garer ici, juste au cas où. Nous interpellons un « traffic officer » qui nous confirme que se garer en ville est un vrai cauchemar. Mais il décide de nous aider : nous suivons un véhicule de la fourrière qui nous installe tranquillement sur un emplacement idéal à 2 pas de la place, ignorant les grands panneaux « interdit de stationner »… Ben voilà, il suffisait de demander 😉.
Nous nous rendons ensuite à l’Egyptian museum, avec ses collections à tomber par terre ! Des sarcophages incroyables, des stèles gravées, des papyrus longs de plusieurs mètres, des statues, le masque funéraire de Toutenkhamon, la momie de Ramses II, des urnes funéraires… Wouaouh ! Mêmes les enfants ne se lassent pas, cherchent les détails, veulent voir toutes les pièces. La salle des momies retient particulièrement leur attention (photos interdites) : de vraies momies super bien conservées des rois et reines de l’Egypte ancienne, morts il y a plus de 4000 ans ! J’avais peur que Martin soit un peu impressionné (car on parle quand même de cadavres séchés là…) mais pas du tout, il se montre curieux et très respectueux. Dommage quand même que le musée soit un peu « dans son jus » : peintures décrépies au mur, vitrines sales et parfois scotchées, pièces emballées de plastiques et éclairage loin de mettre en valeur cette incroyable collection ! Un nouveau musée flambant neuf devrait ouvrir en 2020, et vue la qualité des œuvres il vaudra le détour !
Après cette chouette visite qui nous met dans l’ambiance nous dévorons un hamburger pas local du tout et nous refrottons à la circulation dantesque du Caire pour rejoindre les pyramides à une quinzaine de kilomètres. Dans ce bordel motorisé Renaud s’éclate comme un gosse dans un jeu vidéo : la main sur le klaxonne il fait slalomer nos 7 mètres tout en souplesse, tandis que moi je serre les fesses et me retiens de dire « attention » toutes les 10 minutes secondes. Nous arrivons sains et saufs sur le parking des pyramides mais les militaires, encore eux, ne nous laissent pas approcher. Impossible de dormir proches des pyramides, même sur des emplacements déjà occupés par des familles voyageuses avant nous… la police égyptienne a une dent contre pépère ! Un commerçant nous voyant un peu désemparés (ben on va dormir où nous maintenant ?) nous conduit sur un grand parking pas loin sur lequel viennent se garer des dizaines de minibus et de cars de tourisme. On est loin du bivouac glamour que j’avais imaginé, mais pas trop le choix !
Dimanche 6 octobre, nous sommes debout tôt pour profiter un maximum de notre journée aux pyramides. Nous décidons d’y aller en camping-car pour nous garer sur le parking public au pied de Kheops, voire prendre un morceau de la route qui serpente entre les pyramides pour prendre une photo de pépère dans ce décor royal. Nouvel échec, exactement comme au parc Ras Mohamed les employés des pyramides nous laisseraient passer mais l’armée s’interpose et nous interdit l’accès. Visiblement une nouvelle régulation portant sur les véhicules « atypiques » - pour eux on n’est pas un véhicule privé, mais pas un véhicule public non plus. On ne rentre dans aucune case donc ils ne nous laissent pas entrer. Bref, on va se garer sur le parking autorisé en contrebas, et malgré nos efforts pour redemander en fin de journée nous n’aurons pas la photo de pépère devant les pyramides ☹.
Si lui ne les voit pas de près, nous en revanche en profitons largement, à pied la majeure partie de la journée, et en dromadaire aussi pour avoir la vue depuis le désert du Sahara : Kheops, la plus grande, Khephren, juste à côté, Mykerinos, la plus petite des trois grandes. Car le site compte également plusieurs petites pyramides connues sous l’appellation « pyramides des reines ». C’est incroyable d’être là, devant ces monuments si connus mais en même temps si mystérieux ! Comment ces énormes blocs de plus de 2 tonnes ont-ils été assemblés ? Le sphinx, majestueux, semble surveiller la ville à ses pieds. C’est étonnant d’ailleurs de voir que les pyramides sont en fait juste dans la banlieue du Caire ! Les bâtiments, les marchands, la vie égyptienne moderne arrive littéralement au pied du site. Je n’en avais pas conscience, la plupart des images des pyramides que j’avais en tête montrant plutôt le côté Sahara, plus photogénique ! Nous entrons dans les entrailles de Kheops : un escalier vertigineux, un petit passage où il faut quasiment s’accroupir, et pour finir la chambre funéraire ou était déposé le sarcophage du roi, avec ses énormes blocs de granite rose en guise de plafond. L’air y est quasiment irrespirable ! Nous ressortons unanimement mitigés : certes on se dit que l’expérience d’entrer dans la plus grande des pyramides est unique… mais on s’attendait à davantage de pièces, recoins ou passages. Et du côté des adultes, on se dit que le surcoût pour entrer à l’intérieur (60€ pour nous 5 sachant que Martin ne paie pas) est quand même exagéré ! Nous quittons le site fascinant en fin de journée, nous sommes vannés car il a fait encore bien chaud. Une bonne douche pour tout le monde, et à 21h, tout le monde ronfle 😉.
Aujourd’hui, nous sommes allés en taxi dans le centre du Caire pour faire notre demande de visa soudanais. Petite appréhension car nous avons des tampons d’entrée en Egypte qui indiquent le poste frontière de Taba, à la frontière israélienne. Or le Soudan ne délivre pas de visas aux personnes ayant un tampon israélien dans leur passeport. Mais nous connaissons plusieurs voyageurs qui ont eu le précieux sésame, et au final tout se passe bien pour nous aussi. Arrivés vers 10h à l’ambassade nous en ressortons à 16h30 avec nos visas en poche. Une longue journée d’attente, de formulaires à remplir, de queues à faire, dans une pièce sans clim complètement bondée. C’est la cohue autour des guichets, et quelques personnes nous voyant nous adressent de grands sourire en nous disant « it’s africa ! ». Ça promet 😉 Une fois sortis, j’aurais aimé me balader un peu en ville mais le reste de la famille vote plutôt pour un retour peinard au camping-car, toujours garé sur le parking des bus. Finalement ce n’est pas si mal, le personnel est sympa et offre tous les jours des petits trucs aux enfants (sodas, jus, thé…). Et au moins on n’a pas été dérangé par une armée égyptienne un peu trop zélée ! Le retour en taxi dans les embouteillages, les klaxonnes et les vieux bus puant le gasoil parachève cette journée fatigante.
Demain, nous quittons le Caire. Il y aurait beaucoup à voir et à faire encore, mais nous ne pouvons pas tenir un rythme de visites trop intensif au risque de ne plus y prendre de plaisir, et puis les villes, ce n’est pas vraiment notre truc. Prochaine étape : Saqqara.
Un petit mot sur le processus de momification, rituel très important pour les égyptiens qui croyaient en l’immortalité, la mort n’étant que la séparation du corps et de l’esprit – le corps devant rester en bon état pour le jour où l’esprit serait réintégré :
- D’abord il faut enlever les viscères en faisant une incision sur le côté gauche du corps du défunt : poumons, intestins, foie et estomac, qui une fois séchés, nettoyés et embaumés iront chacun dans des urnes séparées. On ne touche pas au cœur qui représente l’essence et l’intelligence de l’homme.
- Ensuite il faut aspirer/ faire glisser la cervelle par une narine pour vider le crâne
- Une fois le corps vidé et rincé, il faut renflouer l’intérieur par des tissus, puis l’enduire d’huiles et de produits à base notamment de bicarbonate de soude puis le laisser sécher pendant 70 jours.
- Une fois cette période passée, le corps est enroulé de centaine de mètres de bandelettes enduites, puis déposé dans un sarcophage avec des amulettes.
- S’il s’agit d’un roi, d’une reine ou d’un personnage important, le corps est ensuite transporté par bateau sur le Nil jusqu’à un tombeau dans la vallée des rois, suivi d’une procession chargée d’offrandes. Il est important que le défunt ait de quoi manger dans l’audelà, qu’il soit accompagné d’animaux sacrés eux-aussi momifiés, de bijoux etc.